Extraits
Poème pour un (un)e inconnu (e)
Je te bâtis en moi
Et chacun de tes rêves prend racine
Au fond de mes yeux
Mais tu ne me reconnais pas
L’ignorance de ton nom
Élève à l’orée de mon âme
Des milliers de tourterelles
La parole a voyagé de moi vers toi
Mais tu ne me reconnais pas
Peu importe ton sexe
Tu envahis mes mots et m’apprends
Le langage de la terre de l’eau du feu du sel
Tu ne me reconnais pas
Pourtant je suis plein de toi
Libations pour le Soleil, p.20
Boat-People
Dans mon flanc gauche
Vous dormez sous un étang de larmes
Vos mains rendues dérisoires
Répandent des feuilles orphelines
Dans ma nuit de veille
Vos hurlements de bêtes traquées
Dessinent sur mon front
La croix de la honte
Que traîne mon peuple
Votre faim et votre nudité
N’ont pas choisi l’holocauste du souvenir
Votre rage attachée à la poupe des voiliers-papillons
A planté dans nos cœurs un poteau-mitan
Boat-People
Black-People
Poor-People
Vous n’êtes pas morts
Vous vivez en moi
Comme un poing
Libations pour le Soleil, p.9
La magie de la parole
Je parle
Et ma mémoire glisse
Sous le drap de la nuit maternelle
La parole abolit la pesanteur et l’espace
Entre toi et moi
Elle aménage un jardin
Où nous cultivons un espoir sans défense
La parole habite le geste le regard
Et le silence
Pour que la vie se mue
En oiseau voyageur ou fleur-soleil
Libations pour le Soleil, p.34
Pêle-mêle
Une odeur de sol mouillé
Monte jusqu’à moi
Pour la célébration de l’enfance
Les ilangs-ilangs répandent l’ivresse
À travers une nuit d’encre de Chine
Guirlandes banderoles
Serpentins oriflammes
Débauches de fruits innommables
Vaine est la tentative de savoir
De quel côté mon cœur se penche
Orgies de fleurs
Et de clairs de lune
Tralala tralala
La mémoire à fleur de peau, p. 63
Poème de fin de soirée
Entre ma faim de toi
Et mon désir de devenir rossignol
S’installe mon portrait de géant en papier
Tous les matins
Mon corps récite ton corps
J’agite le hochet de l’oubli
Pour que tombe la pluie
Sur nos traces parallèles
Le silence ne me parle que de toi.
La mémoire à fleur de peau, p.42
Lettre à l’Occident
Au nom des exilés de la vie
Je vous adresse ma parole
Taillée dans la plaie
De ceux qu’on regarde du coin de l’œil
Je vous observe
Du haut de ma mémoire de pierre
Et j’entends les éclats de vos rires
S’engloutir dans l’océan de larmes
De millions d’hommes
Dans tous vos dictionnaires
J’ai beau chercher
Les mots Fraternité Solidarity
Amistad Amore
Je reviens les mains vides
Tel un enfant qui a perdu ses jouets
La mer a emporté ma voix
Et mes gestes aussi
Avant que les rivières
Ne disparaissent dans les fleuves
Et que les coqs ne perdent
Le sens de leur chant
Je vous invite à passer
Une nuit de tendresse.
Polyphonie, p.47
Honneur
À l’artiste qui refuse d’expédier son âme
Et son pays au crématoire de la gloire
Au promeneur crépusculaire qui se découvre
Dans une femme un homme un oiseau
À la main qui sème des étoiles
Dans le jardin des voix sans joie
Aux amoureux fous de la lune
Aux faiseurs de pluie
Pour que des enfants n’aient plus faim
À ceux qui rêvent les yeux ouverts
Pour que chacun épingle à sa boutonnière
L’œillet de la dignité
Je livre ma récolte d’arcs-en-ciel.
La mémoire à fleur de peau, p.34-35
L’indélébile
Ma maison est légère comme un oiseau
Elle n’a ni porte ni fenêtre
Et donne sur la saison couleur de cendre
Une chanson l’habite
Qui s’appelle Silence
Ma maison a perdu la mémoire des mots
Confond rivière et sang
Statue et fantôme
Rires et pleurs
Le chemin qui conduit à ma maison
Est un fil qui imite les gestes du vent
Là où je vais
Je traîne sous le bras ma maison
Pièce à conviction.
Polyphonie, p.35